Au sujet de la soirée du 3 juin 2023

Editorial par Audrey Vanhaudenhuyse

Sensation and Perception Research Group, GIGA Consciousness, Université de Liège.

Centre Interdisciplinaire d’Algologie, CHU Sart Tilman, Liège, Belgique.

avanhaudenhuyse@chuliege.be

Ce 3 juin 2023 a lieu la première soirée intitulée Quand la science s'intéresse aux techniques héritées de pratiques traditionnelles. Elle se tiendra au sein du magnifique Musée des Beaux-Arts de Nancy. Cette soirée est née d’une relation qui se construit depuis quelques années entre le GETCOP, le Centre Interdisciplinaire d’Algologie du CHU de Liège et le Sensation & Perception Research Group du GIGA Consciousness de l’Université de Liège. Plus particulièrement, les échanges stimulants avec Fernand Vicari, ont conduit à cette envie d’organiser cette soirée dont la thématique éveille encore bien des doutes et des questionnements, mais aussi beaucoup de curiosité.

De la transe induite par des techniques hypnotiques, à la transe chamanique, en passant par les transes méditatives, nous avons de quoi titiller notre curiosité de scientifiques dont l’étude de la conscience est au cœur de nos travaux, de notre passion. Ces états de transe sont-ils identiques ? Partagent-ils des similarités ou au contraire sont-ils totalement différents ? Peut-on les opposer ou devrait-on les considérer comme positionnés sur un continuum des différentes modulations de la conscience ? Autant de questions auxquelles des chercheurs de différentes universités tentent de répondre. Et pour chaque nouvelle découverte, chaque nouveau résultat, c’est encore plus de questions qui sont soulevées. En effet, aujourd’hui, grâce à l’essor technologique, nous avons la chance d’avoir à notre disposition des outils de pointe : imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, électroencéphalographie à haute densité, stimulation magnétique transcrânienne, etc. Le tout étroitement combiné à des mesures phénoménologiques, centrées sur le ressenti subjectif de la personne au moment de son expérience de la transe. Ces outils nous donnent la possibilité d’affiner nos mesures, nos enregistrements, mais n’offrent pas (encore) la possibilité d’enregistrer et comprendre tous les phénomènes dont témoignent les personnes en transe (par exemple, sentiment d’être en communion avec l’univers, expérience de dissociation intense, etc.).

Soulignons également la beauté actuelle des disciplines qui se chevauchent, collaborent, et s’entremêlent, permettant ainsi des collaborations étroites entre des domaines complexes qui auparavant travaillaient chacun dans leur coin. Nous vivons cette époque chanceuse où la transe peut être abordée sous la loupe de la complexité et non plus uniquement réduite à un phénomène physique, ou un phénomène psychologique, etc. Nous pouvons unir nos expertises pour tenter de mieux caractériser ces états en les abordant simultanément sous l’angle psychologique, physiologique, neuronal, social, etc. ! Quel programme alléchant pour ce futur que nous construisons au sein de nos laboratoires de recherche !

Quelle responsabilité majeure également nous portons ! En effet, il est de notre devoir, en tant que chercheurs, d’élaborer des protocoles rigoureux, transparents et sérieux afin de fournir des résultats tangibles et utiles pour nos concitoyens. Nous savons qu’un nombre croissant de patients, quel que soit leur problème de santé, se tourne vers des approches complémentaires non-pharmacologiques. Les patients ont besoin de se sentir acteurs de leur prise en charge, de retrouver un sens de responsabilité dans leur bien-être. Ces outils leur permettent de retrouver ce sens du contrôle et une certaine autonomie quant à la gestion de leur qualité de vie. Malheureusement, nous sommes aussi frappés par la présence de certaines personnes dont la position éthique et les compétences peuvent parfois être questionnables et questionnées. Sans aucune surprise, les communautés scientifique et médicale restent dès lors encore dubitatives et prudentes. Sur la réserve pour intégrer de telles pratiques dans la prise en charge des patients. Certains centres ou hôpitaux ont déjà ouvert leurs portes à l’hypnose et/ou la méditation. D’autres observent encore ces outils de loin… ont encore besoin d’être assurés de leur intérêt réel pour les patients. Et c’est légitime ! Le soin du patient demande une grande prudence. Nous travaillons avec la complexité de la personne humaine, une richesse faite d’une multitude de facettes qui parfois peuvent se contredire, parfois protègent d’une blessure profonde, parfois ont une fonction opérante importante pour la personne. Dès lors, il est primordial de travailler avec son cœur et beaucoup d’éthique, avec humilité et rigueur. C’est pourquoi, en tant que scientifiques, notre devoir est de poursuivre ce travail de compréhension, d’objectivation des processus de transes afin de pouvoir ensuite en expliquer les mécanismes, de préciser les contextes cliniques dans lesquels elles sont pertinentes, d’offrir un manuel transparent des bénéfices et des limites de chaque technique.

Bien sûr, nous gardons cette humilité aussi face à la grandeur de cette entreprise. La Science a cette beauté d’évoluer en permanence. Chaque nouvel outil de mesure nous fait réaliser la limite de l’outil utilisé précédemment. Chaque résultat obtenu par un protocole de recherche nous confronte aux limites méthodologiques dont nous n’avons pas pu nous défaire. Les outils centrés sur les états de conscience non ordinaire sont intrinsèquement liés à la personnalité humaine, dont les facteurs contextuels, motivationnels et relationnels sont irrémédiablement intriqués. Notre travail a pour objectif de tenter d’aborder chaque facette de cette complexité afin d’en tirer une information la plus précise possible.  C’est en favorisant les collaborations entre disciplines et groupes de chercheurs de différentes universités que nous pourrons optimaliser ce travail.

Dans ce cadre, ce 3 juin 2023, nous avons voulu réunir des chercheurs de différents horizons. Neurosciences, anthropologie, psychologie, autant de disciplines qui seront représentées en cette soirée avec au cœur la même passion : étudier et comprendre des pratiques de transe issues de techniques ancestrales. Hypnose, transe chamanique et méditation seront présentées et discutées avec le public. Nous espérons voir naitre des questions, des échanges riches et ouvrir un peu plus encore le regard vers ces outils qui ne peuvent plus être mis de côté par les communautés scientifiques et médicales dont l’intérêt est d’améliorer le bien-être des patients.